Après une longue absence sur ZERO YEN, notre cher Demosthene est de retour avec cette fois-ci un article sur la monnaie japonaise : le Yen. Une chronique à lire sans modération surtout si vous vous apprêtez à échanger vos euros pour partir au pays du Soleil Levant.
Monnaie officielle du Japon depuis le 10 mai 1871, le Yen se prononce en fait « en » en japonais, et s’écrit avec ce kanji 円 signifiant littéralement « objet rond » ou « cercle », comme le Yuan chinois et le Won coréen. Avant 1954, il exista une subdivision en Sen (1/100) et en Rin (1/1000). Le code international auquel il est attaché est JPY. Cette monnaie succéda au Ryō (une pièce en or de l’époque Edo et du début l’ère Meiji) subdivisée en pièces d’argent, elles-mêmes ayant une équivalence en pièces de cuivre. A l’origine, le Ryō était une unité de poids importée de Chine. Tout le système monétaire antérieur au Yen était ainsi articulé sur un lien or/argent/cuivre.
En 1871, les premières pièces en Yen sont d‘ailleurs en or. Et un Yen en argent fut réservé pour le commerce international. Cette pièce d’argent sera autorisée à l’intérieur du Japon en 1878. Le premier billet date de 1872 et fut réalisé par une entreprise allemande. La banque du Japon fut créée en 1882, et obtient la légitimité d’émettre la monnaie nippone, afin de lutter contre une forte inflation, due à la grande quantité de papier monnaie en circulation à l’époque. En 1885, la Banque du Japon émis un billet de 10 yen, convertible en pièces d’argent. Un billet de 10 yens convertible en or fut émis en 1897, selon le barème de conversion suivant : 1 yen = 0.75 g d’or. En 1899, tout le papier monnaie non émis par la banque du Japon fut interdit. En 1931, cette convertibilité en or et argent fut suspendue (puis modifiée en 1942), au profit d’une gestion simple de l’émission monétaire par la banque centrale. On notera que cette remise en cause de l’étalon or est courante dans tous les pays du monde après la première guerre mondiale. Pendant la guerre sino-japonaise, afin de préserver le métal précieux pour l’effort de guerre, des pièces en aluminium sont émises, notamment pour le Sen. Les numismates connaissent aussi le Yen militaire. Un papier monnaie, non convertible en Yen japonais, fut émis pendant la seconde guerre mondiale dans les territoires conquis par l’armée impériale nippone. Il se distingue par l’absence de numéro de série et la simple mention « The Japanese Government ». Ce papier monnaie, sans aucune garantie, inonda l’Asie du Sud-Est, il y a 70 ans.
Le Yen perdit la plus grande partie de sa valeur après la seconde guerre mondiale. Après une période de grande instabilité monétaire, le taux fut fixé à 360 yens pour 1 dollar américain en 1949. Le taux actuel est autour de 80 yens pour une unité de monnaie américaine. Dans les années 60, 70 et 80, le yen fut très sous-évalué ce qui favorisa les exportations des produits made in Japan. Cela permit également à l’Etat japonais d’accumuler de fortes réserves de change. En février 2002, il était de 134 yens pour un dollar américain. En soixante ans, la valeur du Yen a été multipliée par 4 face au dollar américain, dans le système des changes flottants qui caractérise le marché des devises. Depuis ces dernières années, le Yen a gagné de la valeur face à toutes les monnaies majeures (sauf face au franc suisse). Actuellement, le Yen atteint un niveau trop élevé qui n’aide pas les exportateurs nippons. Cela dit, les exportations japonaises correspondant le plus souvent à des produits à haute valeur ajoutée, la situation du yen reste pérenne. Jusqu’au prochain choc monétaire (comme l’effondrement du dollar par exemple), on peut considérer que le Yen a atteint le point le plus proche de sa valeur réelle, puisqu’il avait déjà son cours actuel face au dollar américain juste avant la crise économique qui frappa l’archipel nippone dans les années 90.
Le Japon présente une situation économique assez unique dans le monde. Fortement endettée, la Japon se finance sur l’épargne des japonais à plus de 95%. En Europe et aux Etats-Unis, la dette publique appartient à des non-résidents à plus de 65%. Cette situation permet au Japon de ne pas dépendre des contingences économiques extérieures, et de gérer leur monnaie à leur guise. La masse monétaire japonaise est très importante, ce qui explique la vie chère au Japon. Quand la masse monétaire est importante, la monnaie perd de sa valeur donc les prix augmentent, c’est souvent lié à un phénomène nommé « inflation ». Mais cette masse monétaire circule peu par le crédit, ce qui occasionne une situation de déflation (peu de liquidités disponibles) et de précarité assez fréquente dans l’archipel. Le Yen peut apparaître ainsi comme une monnaie à la fois sous-évaluée et sur-évaluée.
Pour l’anecdote, la pièce de 1 Yen (en or en 1871, maintenant en aluminium) pèse exactement 1 gramme. Valeur souvent paradoxale, le Yen reste une monnaie qui a su traverser les pires crises de l’histoire, tout en conservant un attrait légitime. Son statut de monnaie refuge me semble erronée, cependant les incertitudes chroniques et profondes sur le Dollar américain, la Livre Sterling et l’Euro lui confère une place particulière dans le portefeuille des investisseurs. Le succès des monnaies complémentaires au Japon, citons le célèbre Fureai kippu (ふれあい切符 ), souligne le souci local de préserver le Yen. De nos jours, La monnaie n’a pas de valeur en soi, ce n’est qu’un outil d’échange. Si on préserve l’échange et les relations dans la communauté, on peut « créer » de la monnaie, quelle que soit sa forme.