Lors de notre récent séjour à la capitale, les Éditions Tonkam nous ont fait l’honneur de nous ouvrir leurs portes. Et cerise sur le gâteau, c’est Pascal Lafine, le directeur, qui nous a accordé une longue et passionnante interview.
Zero Yen (ZY) : Pascal, bonjour, merci de nous recevoir.
Pascal Lafine (PL) : Toujours prêt !
ZY : Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
PL : Alors, en avance rapide, je suis directeur des éditions Tonkam depuis 2000 mais j’y travaille depuis 1993. À l’époque, je leur donnais juste des conseils sur les choix des séries à acheter. Pendant une vingtaine d’années, je m’occupais aussi de massacrer le cerveau des enfants chez AB Productions (rires).
ZY : Au début, Tonkam, c’était donc une boutique ?
PL : Oui. En fait, j’y ai fait la connaissance de Dominique Veret (ancien directeur des éditions Tonkam) en allant démarcher des boutiques sur Paris pour le fanzine Animeland avec les créateurs Ivan West Laurence, Vincent Vu et moi-même. Nous partagions tous la même envie de faire découvrir cet univers au plus grand nombre.
ZY : Puis Tonkam devient une maison d’édition avec la publication de Video Girl Ai. Pourquoi ce choix face à Glénat qui commençait à sortir des mastodontes tels que Dragon Ball et Ranma ½ ?
PL : En fait, à la boutique, ce manga était vraiment très populaire : pour une fois, c’était une histoire d’amour pour les garçons servis par un dessin de toute beauté. Ce fut une longue bataille afin de pouvoir obtenir ce titre. Nous avons eu pas mal d’aléas et de problèmes d’impression.
ZY : Oui, par exemple, sur le numéro 8.
PL : Exactement : sans nous demander la permission, l’imprimeur de l’époque avait subitement changé de papier.
ZY : Il y avait aussi le « Club Video Girl », j’avais la carte et on recevait un petit pamphlet en noir et blanc, c’était la bonne époque !
PL : Ça remonte ! Par la suite, on a enchainé sur du Masamune Shirow avec Black Magic et Dominion Tank Police. A la même période, Glénat aussi s’était intéressé à cet auteur qui, malheureusement, n’est plus à la page aujourd’hui.
ZY : Ensuite arriva la section anime avec « Mamono Hunter Yohko », « Ushio To Tora », VGA, etc…
PL : Avec Dominique, on voulait toujours faire découvrir de plus en plus de choses à nos fans, que ce soit en vidéo ou en manga.
C’est ce qui nous caractérisait : nous avons publié les premiers shojo avec « Fushigi Yuugi » et PSM, le premier seinen avec « Black Magic », le premier yaoi avec « Zetsuai », introduit le sens de lecture japonais en France. Mais il y a eu une période de flottement avec la folie manga en 2000 et nous avons changé un petit peu notre politique éditoriale.
ZY : Il y avait aussi de la BD chinoise chez Tonkam avec Andy Seto et son fameux « Cyber Weapon Z ».
PL : Nous avions décidé de le publier car c’était assez proche de la narration à la japonaise. Les auteurs de la maison Freeman étaient tous inspirés manga, à contrario des autres auteurs typiquement chinois.
ZY : L’OAV de cette série était d’ailleurs sorti, j’ai encore la vidéo à la maison.
PL : (rires) Les auteurs se sont dit qu’après Toy Story, l’avenir était dans l’animation en 3D. Ils ont donc décidé de claquer tout leur argent dans la production de cette OAV qui, comme tu as pu le voir, n’était pas de la meilleure facture. C’est cette expérience qui a d’ailleurs entraîné la fermeture de la société.
ZY : Instant nostalgie, parle-moi un peu de « Tsunami », mon fanzine préféré de l’époque.
PL : Il y avait la guerre entre les « tsunamiens » et les « tonkamiens » (rires) ! C’était le bébé de Dominique mais, après le passage sous presse, le rythme à tenir était trop soutenu. Nous avons donc décidé d’arrêter et de nous recentrer sur notre activité principale : le manga en VF.
Avec « Tsunami », nous avons essayé de présenter le Japon au travers de l’animation et du manga pour présenter peu à peu l’ensemble de la culture et sous-culture nippone.
Les temps ont bien changé. À l’époque, nous étions tous super actifs car nous n’avions rien à se mettre sous la dent, si ce n’était lire les versions originales en Japonais. Maintenant, nous vivons une époque de consommation pure.
ZY : Revenons un peu sur le Tonkam de nous jours, avec « Gantz », un de mes titres favoris. Peux-tu nous expliquer le retard de « Gantz Osaka » ?
PL : (rires) Alors là, c’est pas de notre faute pour le coup ! On a eu pas mal de déboires avec notre imprimeur.
ZY : Économiquement parlant, n’est-ce pas un risque pour vous ? Presque 20 euros pour une partie déjà publiée dans le manga, c’est une certaine somme !
PL : Ça vaut vraiment le coup ! Hormis le grand format et les planches inédites (et il y en a beaucoup), l’auteur a pris un soin tout particulier à redessiner un bon nombre de pages. Un exemple : la modification de la coupe de cheveux d’une de ses héroïnes qui ne lui plaisait pas lors de la parution des volumes reliés.
ZY : Tu as aussi décidé de reprendre « Jojo » des éditions « J’ai Lu » avec l’envie de rééditer les premières saisons.
PL : « Jojo » est un titre de qualité qui se vend très peu, j’ai donc décidé de communiquer avec les fans sur Manga News pour savoir quelle direction prendre.
Je pense créer une page Facebook pour cela : en l’aimant, vous signez un pacte avec Tonkam et vous vous engagez à l’acheter. En échange, vous avez le droit de donner votre opinion. C’est le premier manga participatif.
Je suis aussi assez frustré avec les vente des mangas d’Adachi, c’est un super auteur mais qui, malheureusement, n’attire qu’un public de niche.
ZY : Merci pour « Ai Shite Knight » !
PL : Peut-être que les lecteurs actuels sont trop jeunes pour se souvenir de ces séries mais, avant de laisser ma place, j’ai toujours voulu les éditer. Je rêverais de publier la version manga de « Jeanne et Serge » (ndlr : « Attacker You » en VO) et de « Creamy ». J’adorerais faire un fan club de séries « vintage ».
ZY : En parlant de vintage, « Wingman » arrive enfin !
PL : On a pris pas mal de retard, c’était assez difficile de mettre la main sur le matériel d’origine mais c’est bon et ce sera bien pour Février 2012.
Nous attendons de voir pour publier « Present From Lemon » et « Super Mobile Troop Vander », deux œuvres inédites de l’auteur, peut-être en série collector limitée, qui sait ! Nous sommes très intéressés par son one shot de « Tiger & Bunny ».
ZY : Comment choisissez-vous une série en général ?
PL : Soit avec notre correspondant japonais qui nous envoie ses coups de cœurs, soit en lisant l’actualité sur le net ou bien des articles, des conseils des adaptateurs. Nous n’avons pas un mode prédéfini.
Nous essayons d’éviter de systématiquement regarder le hit-parade des ventes. Nous aimons découvrir et faire découvrir des petites séries comme par exemple « Crimson Heroes » et « Scary Lessons », un « conte de la crypte » pour jeunes collégiennes (lisez « Douce maman » par exemple).
ZY : Le concept de Tonkam en quelques lignes ?
PL : Au début, nous étions dans la découverte totale mais aujourd’hui, tous les styles sont assez présents sur les étals des librairies. On essaie donc d’être assez généralistes : autant de shonen que de shojo de seinen et de boy’s love. Nous avons un faible pour les shonen de « petite culotte » comme « To Love » ou « Ichigo 100% » avec des histoires d’amour. Nous éditons très peu de shonen de baston, pas de nekketsu : nous privilégions les histoires d’amitié et sentimentales.
Au niveau du seinen, on se fixe sur la ligne « young » du « Young Jump Champion » : « Gantz », « Zetman », « Tough » (très orienté baston au niveau du scénario) ou assez violent avec « Ichi the killer ». On a du shojo pour collégiennes et lycéennes avec « Crash!! », « Seiyuka » et « Special A ».
On fonctionne aux coups de foudre. On reste sur notre public de trentenaires : on parle souvent plus des rééditions que des nouveautés éditeurs. Les séries de fond deviennent cultes au bout d’un certain temps. On pourrait dire que « Tonkam, c’est comme du bon vin » ou « Tonkam, c’est le devoir de mémoire ».
ZY : Y-a-t-il des titres que tu souhaitais publier mais que tu n’as pas pu obtenir ?
PL : J’aurais adoré avoir les droits de « Ayako », « Astro Boy » et « Le Roi Léo » de Tezuka mais hélas, un autre éditeur les a eu avant nous.
ZY : Le futur de Tonkam ?
PL : Nous aimerions permettre aux auteurs français de pouvoir s’exprimer avec un style proche du manga. C’est ce que nous avons commencé à faire avec « Memento Mori ». Nous voudrions aussi aller débusquer des illustrateurs japonais et pouvoir leur donner la chance de faire des BD au format franco-belge et en couleurs; apporter quelque chose de nouveau dans le paysage français. Un peu à la manière de ce que fait Terazawa avec ses planches couleurs.
ZY : Pascal, merci beaucoup de nous avoir consacré autant de temps, c’était un réel plaisir !
PL : À très bientôt.
4 commentaires
Toujours aussi sympa les interviews de Pascal, surtout faite par une passionnée old school, vous ne pouviez QUE vous entendre ^w^. Interview « back in time » très sympa en tout cas !
Bon courage à Tonkam pour ses projets entre styles français et nippons. Etant un grand fan des illustrateurs nippons, j’attends ça avec beaucoup de curiosité !
Hey Mister Ramza, on s’est vraiment éclaté. Au début on devait faire ça en 15, 20 minutes et finalement on est resté à parler pendant plus d’ 1H30.
J’essaye dans les interviews en plus de parler de l’actu du moment,de ne pas oublier la partie historique de l’affaire. Qui est je pense pas mal intéressante pour les nouveaux, et qui mettra la larme à l’ œil aux vieux de de la vieille.
Merci pour tes encouragements et tes critiques positives nous en avons besoin.
On espère pouvoir réaliser encore plus d’interview de cet acabit.
beau boulot !!!! interview très intéressant !!!!!
Merciiiiiiiii monsieurrrrrrr