Le mot arigatô qui est utilisé pour remercier, est sans conteste l’une des expressions japonaises les plus connues. Dans un pays où les relations entre personnes sont marquées par la modestie et le respect, il est utilisé à longueur de journée.
Personne, ni les étrangers ni les Japonais eux-mêmes, ne semble cependant connaître la véritable origine de ce mot. Certains affirment même qu’il viendrait du portugais obrigado qui signifie également « merci ». Cette ressemblance, bien que frappante, ne peut toutefois être que fortuite puisque le mot arigatô, dans ses formes originelles qui sont arigatai et arigatashi, est utilisé au Japon depuis la période Asuka (milieu VIème siècle au début du VIIIème siècle) alors que les Européens ne sont arrivés massivement que bien des siècles plus tard.
Souvent écrit en Hiragana par la jeune génération, arigatô s’écrivait initialement à l’aide de caractère chinois de la façon suivante 有り難う. Le premier caractère 有 renvoie à la notion de présence et d’existence, et le second 難 signifie « difficile ». Arigatô signifie donc littéralement « chose difficile à obtenir ». Lorsque qu’il est prononcé en face de quelqu’un, il donne de la valeur à l’action que cette personne a faite pour nous en insistant sur le fait que cela ne nous était pas dû mais qu’il s’agit bien d’une faveur. On s’aperçoit ainsi que ce mot à un sens profond. D’après certaines sources qui ont recoupé sa date d’apparition au Japon et son sens initial, il est fort probable que le terme arigatô soit à l’origine une expression bouddhiste issue d’un dialogue entre le Bouddha Siddhârta et l’un de ses meilleurs disciples Ananda. Celui-ci tournait autour du thème central de la valeur de la vie humaine.
Un jour, bouddha demanda à Ananda : « Es-tu heureux de ta naissance en tant qu’être humain ? », Ananda acquiesça aussitôt. Mais lorsque Bouddha lui demanda : « A quel point doit-on se réjouir de notre condition humaine », Ananda ne sut quoi répondre. Bouddha lui expliqua la réponse par l’exemple suivant :
« Ananda, imagine qu’une tortue aveugle soit perdue dans d’un vaste océan. Quelque part dans celui-ci flotte un fin bâton de bois avec un trou au milieu. Ananda, serait-il possible que cette tortue aveugle trouve ce morceau de bois? ». Celui s’empressa de répondre : « Cela me paraît fort peu probable », Bouddha lui demanda alors : « Et quand bien même la tortue y arriverait, pourrait-elle parvenir à mettre la tête dans le trou ? ». Ananda, déconcerté par cette question étrange répondit que cela était une chose si peu probable qu’elle en était presque impossible. Bouddha lui expliqua que si cette tortue avait une durée de vie infinie, elle y arriverait mais que cela lui prendrait sûrement des millions et des millions d’années.
Cette métaphore démontre à elle seule en quoi, dans le bouddhisme, la vie humaine est quelque chose de particulièrement sacrée. Selon certaines croyances, il existerait six à dix modalités d’existence. Celles-ci pourraient être regroupées en trois catégories, les enfers, les humains et les dieux. Pour ceux qui sont dans les enfers, leur durée de vie est très courte et leur existence est remplie de frustration et de souffrance. Ils n’ont pas l’occasion d’étudier le bouddhisme, il leur est quasiment impossible d’espérer obtenir l’éveil sans avoir à renaître de nombreuse fois.
Les dieux se divisent en deux sous-groupes. Les premiers sont des asuras (阿修羅), sorte de démons assoiffés de sang qui, bien que plus forts et plus intelligents que les hommes, sont trop arrogants pour mettre leur capacités au profit d’une pratique salutaire conduisant à l’illumination. Les dieux appartenant à la deuxième catégorie sont appelés des devas. A la différence des asuras, les devas sont des êtres pacifiques vivant une vie de plaisir dans un monde où la nourriture abonde, et la maladie et la vieillesse n’existent pas. Leur durée de vie se compte en milliers d’années. Bien que la condition de deva puisse paraître enviable, elle n’est pas favorable à l’obtention de l’éveil. En effet, ignorant tout de la souffrance et se complaisant dans la jouissance, les devas se désintéressent de leur environnement et des enseignements du bouddhisme. Cette suffisance entraînera un mauvais karma qui conduira à leur mort à une renaissance dans un monde inférieur tel celui des asuras ou des enfers. Ainsi il apparaît que seule la condition d’être humain, parce qu’elle est un subtil mélange de souffrance et de plaisir, de longévité et de brièveté, permet de s’intéresser à la pratique de l’éveil. Malheureusement cette naissance en tant qu’être humain est particulièrement dure à obtenir. De part cette croyance, le bouddhisme est l’une des rares religions pacifistes à considérer que l’existence ne doit pas être une expiation des péchés mais plutôt une bonne occasion de faire naître la compassion et la bienveillance dans notre coeur.
Les mots arigatai et arigatô, issus de ce dialogue s’adaptant bien à la mentalité japonaise, furent employés dans des situations de plus en plus variées pour finalement devenir l’une des expressions de remerciement les plus usitées dans la vie quotidienne.
Article écrit par Nicolas Chauvat
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Nicolas Chauvat, résidant actuellement au Japon, recherche désespérément un éditeur français pour publier ses écrits. Amis éditeurs qui nous lisaient et appréciaient les articles de ce monsieur, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante : sebastien@zero-yen-media.fr
Un grand merci.
Le rédacteur en chef
4 commentaires
j’ignorais qu’arigatou pouvait s’écrire avec ces deux kanji, merci pour ces explications !
Super intéressant je comprend mieux pourquoi les japonais disent rarement Arigatô lorsqu’on leur rend certains services le fait de le dire signifie vraiment quelque chose. Finalement c’est un « Merci » qui se mérite si je comprends bien 🙂
Merci pour ces explication !! on n’en apprend tout les jour sur la culture jap!^^
Domo, domo arigato, Nicolas-san !