Si la cérémonie du thé est désormais célèbre en Occident, rares sont ceux qui ont entendu parler des wagashi (和菓子), ces pâtisseries traditionnelles légèrement sucrées qui accompagnent chaque bol de thé pour en atténuer l’amertume. Cet article vous fera découvrir leur histoire dont l’origine remonte à celle des anciennes divinités et empereurs légendaires et vous présentera les gâteaux plus célèbres de Kyôto.
Servis également lors des principaux festivals de l’année tel le nouvel an, les wagashi sont bien plus que de simples gâteaux : ils sont la nourriture de l’âme. Au pays que Roland Barthes qualifiait « d’empire des signes », chaque élément de la vie quotidienne devient une œuvre artistique dédiée à la beauté. Le wagashi, avec ses couleurs pastel et ses formes délicates évoluant au cours des saisons, illustre parfaitement la célèbre maxime de Sen no Rikyû, l’un des grands maîtres de thé du Japon, ichigo ichie (一期一会) : chaque événement de la vie est unique et ne reviendra jamais, vivez-le intensément avec tout votre être. La consommation de ces pâtisseries est un véritable moment de poésie nous invitant à ressentir pleinement la beauté éphémère de la nature de l’archipel des dieux.
Mochi thé vert
Les wagashi ont une histoire vieille de plusieurs millénaires dont les racines remontent si loin qu’elles se confondent parfois avec la légende de la quête de l’immortalité. À l’époque où le sucre et la farine n’existaient pas, les « pâtisseries » étaient en fait fabriquées à l’aide de fruits et de diverses plantes. Or, les Japonais comme les Chinois croyaient que certains végétaux comportaient des essences médicinales particulières, permettant à celui qui les consommait de prolonger sa vie éternellement.
Le Kojiki (« Chronique des faits anciens ») qui recueille les mythes de la création du Japon relate les faits suivants. Au premier siècle avant Jésus-Christ, l’empereur légendaire Suinin tomba gravement malade. Sachant que son mal ne pourrait être guéri que par des plantes médicinales particulières, il demanda à son serviteur Tajimamori (田道間守), venu du royaume de Silla, de partir à l’étranger pour les lui ramener. Après une absence longue de plusieurs années, Tajimamori revint au Japon en apportant avec lui des plants de Citrus Tachibana. Malheureusement, l’empereur Suinin avait déjà succombé à sa maladie. Tajimamori, rempli de tristesse, planta la moitié de ces précieux plants sur la tombe impériale en guise d’offrande. Il confia le reste aux Japonais afin qu’ils les cultivent. À cette époque, le terme désignant gâteaux et fruits étant le même, Tajimamori fut à sa mort vénéré comme le Kami des pâtisseries. Ces dernières, composées uniquement de produits végétaux, étaient donc bien plus qu’un simple mets sucré, elles étaient considérées comme des médicaments sacrés au pouvoir quasi miraculeux. Leur consommation permettant d’apporter les calories nécessaires à la survie, ils étaient d’une valeur inestimable.
Sucre en forme de fleurs de prunier
Les wagashi connurent leur première grande évolution durant l’époque de Nara (710- 794), lorsque les ambassadeurs japonais envoyés en Chine par l’empereur revinrent au pays en rapportant avec eux de nombreuses pâtisseries. Ces dernières, appelées tôgashi (唐菓子, littéralement pâtisserie des Tang) du nom de la dynastie régnant à l’époque en Chine, étaient issues de procédés de fabrication encore inconnus au Japon. Bien plus que de simples fruits, elles étaient composées de farine de blé, de riz et comportaient également de la pâte de soja et d’haricot rouge azuki. L’utilisation de ces nouveaux ingrédients très modelables permettait aux hommes de créer eux-mêmes la forme du gâteau. Les Chinois, tout comme les Japonais, accordaient une importance toute particulière à la contemplation de la nature. Les pâtissiers de l’époque, inspirés par les poésies des grands taoïstes, donnèrent ainsi à leurs gâteaux des formes d’arbres. Parmi les tôgashi les plus connus, on trouve le baïshi à la forme de branche de prunier et le tôshi qui imite celle du pécher. Ces nouvelles techniques influencèrent fortement les pâtisseries japonaises. Ces dernières prirent le nom de wagashi (和菓子) car « wa », qui signifie littéralement paix et harmonie, fut choisi pour désigner leur propre pays. Cette dénomination permettait donc de distinguer les pâtisseries japonaises de leurs homologues continentaux.
Gâteau prune
L’importation de Plante de Thé par le moine zen Eisai en 1191 eut elle aussi un impact considérable sur l’histoire des wagashi. Le thé ayant un goût légèrement amer, il est souvent consommé avec des aliments sucrés : les wagashi devinrent alors de plus en plus utilisés lors de sa dégustation. Les pâtissiers s’employèrent alors à inventer de nouvelles recettes en s’efforçant d’augmenter le goût sucré de leurs gâteaux. Bien que cela généralisa encore plus leur usage, ils ne restèrent encore que très peu accessibles et ce d’autant plus que le thé, consommé lors de cérémonies appelées Sadô (茶道), ayant été importé par un moine, était surtout associé au bouddhisme zen.
Leur usage se répandit d’autant plus dans la communauté bouddhiste que les moines, se voyant interdire la consommation de viande, devaient se procurer par d’autres moyens leur rations de protéines. Pour répondre à ces attentes, il fut créé en Chine une nouvelle catégorie de pâtisseries appelée dianxin (点心) . Ces gâteaux étaient confectionnés à partir de pâte de haricots rouges et de soja, tous deux particulièrement riches en protéine. Les dianxin firent leur apparition au Japon à l’époque de l’ère Muromachi ( 1336-1573).
Article écrit par Nicolas Chauvat
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Rendez-vous dès demain pour la suite de cet article consacré aux pâtisseries japonaises.
3 commentaires
Belle article vivement la suite :), j’ai eu l’occasion de voir un reportage sur NHK World sur un « artiste » du wagashi c’était hallucinant ce qu’il faisait et ce sont des pâtisseries qui respectent les saisons un peu comme la cuisine kaiseki.
Je regarde également NHK World de temps à autre, c’est une très bonne chaîne avec des reportages divers et intéressants.
Je suis curieux , je vais voir l’histoire du Set thé vert et gâteau ubuïsu