Le 24 avril dernier au soir, j’ai pu me rendre au tout nouveau UGC Ciné Cité 19 à Paris pour découvrir L’île de Giovanni en avant-première et en présence d’une partie de l’équipe.
Quand on est gracieusement invité à un événement comme celui-ci même public ça fait toujours plaisir ! Quand il s’agit en plus d’un film d’animation japonaise récent, et qu’une partie de l’équipe dont le réalisateur est venu pour l’occasion, c’est encore mieux. Je me suis donc rendu pour vous à cet événement organisé par Kazé et Eurozoom.
Après un peu d’attente dans le hall, nous sommes invités à grimper jusqu’à la salle 20 où on nous présentera, peu de temps après, l’équipe venue nous rencontrer : Nishikubo Mizuho, le réalisateur; M. Onoda le producteur représentant de la Japan Association of Music Enterprises (JAME); et plus rare Santiago Montiel, le responsable des décors. Après quelques mots de présentation et une tentative hargneuse de spoiler par le producteur, heureusement très vite étouffée par le public, on nous annonce qu’il y aura une session de questions-réponses à la fin de la projection. Classique et cool. Tout le monde s’en va, les lumières s’éteignent et la projection commence.
L’Ile de Giovanni (Giovanni no Shima)
Format : Film
Durée : 1x1h45
Diffusion : Sortie Japonaise le 22/02/14
Sortie Française le 28/05/14
Type : Drame, Historique
Réalisateur : Nishikubo Mizuho
Studio : Production I.G
Editeur/Diffuseur FR : Kaze / Eurozoom
Synopsis :
1945 : La Grande Guerre s’achève et les habitants de la paisible ile de Shikotan apprennent de la bouche de leur empereur la défaite du Japon. Junpei et Kanta, deux enfants du coin voient alors leur vie paisible s’achever car avant d’avoir eu le temps de vraiment réaliser ce qu’il se passe, l’île est envahie sans sommation par l’armée Soviétique.
Dès lors, les choses ne vont pas s’améliorer, mais malgré les malheurs et la discrimination ambiante, une amitié inattendue va naître entre les enfants Japonais et les jeunes immigrés russes …
« Le 15 août, ils nous ont dit que nous avons perdu la guerre.
A ce moment-là, nous n’avons pas vraiment réalisé.
Puis un jour, tout changea.
De nombreux soldats, portant un uniforme que nous n’avons jamais vu auparavant, arrivèrent sur l’île.
C’est ce jour-là que j’ai rencontré Tanya. »
Basé sur des faits réels.
L’avis de Kevin :
Autant le dire dès maintenant, Giovanni no Shima (L’Île de Giovanni en français) est un film qui m’a laissé très dubitatif. Il a de nombreux points forts, malheureusement fortement contrebalancés par quelques points très négatifs, qui (j’irai jusqu’à le dire) gâchent l’expérience de la projection.
Entrons un peu dans le détail. Ce film traite d’une page sombre et méconnue de l’histoire japonaise durant laquelle une petite île japonaise au nord d’Hokkaido se fit envahir et fut revendiquée par les Russes en tant que part de « l’oblast de Sakhaline »* au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Il s’agit d’ailleurs d’une zone géographique encore partiellement réclamée par le Japon de nos jours, et un frein majeur à la bonne entente diplomatique entre les deux pays. Mais je diverge.
Les insulaires se retrouvent donc forcés du jour au lendemain de tout partager avec des étrangers agressifs qu’ils sont incapables de comprendre du fait de la barrière de la langue. Et après plusieurs années de cohabitation difficile, tous les japonais seront exilés de leur île pour être rapatriés vers le Japon de force. Selon le réalisateur Nishikubo Mizuho, ils ont d’ailleurs été accueillis en grande majorité dans la région de Nemuro à Hokkaido, lieu le plus proche de l’île de Shikotan, et donc de la culture locale la plus familière aux exilés.
Le film met l’accent sur ces événements du point de vue des enfants de l’île, et insiste sur l’amitié imprévisible qui naquit entre eux et les enfants russes fraîchement débarqués.
Tout cela pour dire que le thème du film est vraiment intéressant et méconnu. C’est évidemment sa force principale. Il parvient à nous accrocher au destin de ces Japonais et même à celui des Russes impliqués. Au final, l’expérience est riche de découvertes.
Autre fait intéressant, comme s’est empressé de le dire le réalisateur. L’équipe du film est internationale, composée de Japonais, Français, Russes et Coréens. Sans réellement savoir le degré d’implication de chacun des pays, cette internationalité se ressent dans le film surtout au niveau du ton. Pas d’accusations ni de reproches ici. Tout est étonnamment bien dosé et respectueux de chacun, ce qui donne une impression de réalisme et d’humanisme surprenante. Il n’est clairement pas question d’accuser mais plutôt de raconter avec fidélité et impartialité les faits, car finalement personne n’est réellement coupable. Si les Japonais endossent forcément le rôle de victime, on ne peut pas pour autant porter un gros doigt accusateur sur Tanya, la jeune fille Russe et sa famille, obligée de se déplacer au gré des missions de son père soldat. Lui-même n’y est pas pour grand-chose ! Bref, un choix intelligent qui s’accompagne d’un refus assumé de prise de parti vis-à-vis de la Seconde Guerre Mondiale, qu’il est aussi intéressant de constater.
De plus, si le film se concentre sur l’intrigue il a aussi l’intelligence d’aborder de façon subtile d’autres thématiques historiques contemporaines au récit comme la situation de certains Coréens par exemple, ce qui donne une certaine profondeur appréciable.
On saluera également le choix d’un casting (doublage) multilingue : les Japonais parlent japonais, les Russes parlent russe et les Coréens parlent coréen. Quoi de plus normal au final, mais encore si rare dans ce genre de production ! Bref, un autre très bon point pour cette œuvre.
Mais là où la maestria naît, c’est que l’intrigue repose en fait autant sur la grande histoire réelle que sur le parallèle avec une nouvelle japonaise très connue localement et écrite par Miyazawa Kenji, Train de nuit dans la Voie Lactée. Ce récit de 1934 conditionne en fait toute la partie fictive de l’histoire, et donc le destin des personnages, en intégrant des passages fantastiques et métaphoriques pour alléger l’intrigue. Le livre est même présent physiquement à plusieurs endroits du film et les noms des deux personnages principaux viennent aussi de là.
Le fameux trainTous ces éléments font de L’Île de Giovanni un très bon film d’animation pour enfants et surtout pour adultes; mais comme énoncé précédemment, de nombreux éléments pèchent et d’autres doivent être nuancés.
Ainsi le véritable problème du long-métrage, c’est sa technique : il possède un chara-design particulier avec un parti pris à défendre qui rend vraiment bien sur les personnages adultes et sur Tanya la plupart du temps, mais les enfants japonais (dont nos héros !) sont la plupart du temps très moches.
Tanya, la jeune russe rend généralement bienPire encore, l’animation est très minimaliste surtout au niveau des personnages et des visages. C’est peut-être là encore un choix de style mais j’ai vraiment du mal à avaler la pilule, venant du sacro-saint Studio Production I.G, créateur de Ghost in the Shell et de nombreuses autres tueries autant scénaristiques que GRAPHIQUES. Bon sang de bonsoir ! Et puis disons-le clairement, même hors contexte, le film se situe bien en deçà des standards actuels d’animation japonaise pour des longs-métrages destinés à l’exploitation en salle.
Il m’est ainsi arrivé plusieurs fois d’avoir de la peine à soutenir du regard certains gros plans avec des personnages moches aux visages disproportionnés et mal animés. On croit parfois voir des faciès parodiques sortis tout droit des années 80 !
Et ce véritable handicap technique fait des victimes, une en particulier : Kanta, le petit frère et un des 2 personnages principaux. Pour ceux qui connaissent Mei de Totoro, c’est son pendant masculin. Déjà, j’ai beaucoup de mal avec ce genre de personnages très jeunes qui sont une porte ouverte à toutes sortes de comportements enfantins fantaisistes, bien souvent trop excessifs à mon goût, et couplés à une voix criarde qui beugle les trois quarts du film. Moi méchant ? Pas du tout ! Bref, c’est exactement ce qui se passe ici ! Et quand un personnage n’a pas grand-chose pour lui à la base; si de surcroît on lui donne une animation dégueulasse qui discrédite encore plus ses actions, eh bien on le ruine complètement ! Regardez à l’occasion cette scène où il croque à pleines dents dans un sachet de bonbons ronds, un chef d’œuvre d’animation moderne !
Par extension, si certains personnages se retrouvent désavoués par cette animation limitée, cela gâche aussi certains moments de véritable pathos car on ne s’est pas vraiment attachés à eux. Du coup la fin du film paraît indigeste, ce qui est bien dommage.
Tout n’est pas raté pour autant dans l’animation, car l’imagerie 3D est par contre très bien rendue et bien intégrée : notamment les éléments mécaniques comme les voitures russes et les trains. On voit que les responsables tout droit sortis de Ghost in The Shell Innocence savent bien y faire. Les scènes fantastiques avec le train de la Voie lactée sont elles aussi superbes et remontent le niveau.
Il faut aussi remarquer la touche de Santiago Montiel, français d’origine argentine responsable des décors, pour ses perspectives déformées et l’effet « coup de pinceau ». C’est une décision originale qu’il est assez difficile de décrire mais dans l’ensemble c’est assez réussi. On adhèrera ou pas.
Voilà, Giovanni no Shima m’a vraiment divisé avec beaucoup de bonnes choses et pas mal de mauvaises. Si le thème et la structure du scénario sont très finement pensés, la technique, le design et un pathos pas toujours bien dosé peuvent vraiment affecter l’expérience. C’est à vous d’être d’accord avec moi ou pas, mais s’il faut aller le voir c’est bel et bien pour son thème et son histoire. Préférez Lettre à Momo, film précédent du même studio.
La rencontre avec l’équipe
Après la projection, Nishikubo Mizuho et Santiago Montiel sont redescendus pour répondre aux questions du public. La session qui a duré une petite vingtaine de minutes était assez intéressante et a levé pas mal d’interrogations. Malheureusement, certaines réponses étant liées à des détails précis du film, elles, n’ont pas vraiment leur place ici et ne sont pas spécialement pertinentes. Je vais donc m’efforcer pour conclure cette chronique de vous faire un résumé des choses qu’on a appris sur le film grâce à l’équipe et qui n’ont pas été abordées plus haut :
Le chara-design :
La tâche a été confiée à l’origine à Atsuko Fukushima, spécialiste réputée de l’illustration, qui a livré des designs très stylisés. Ils ont dû être améliorés et rectifiés par la suite par le responsable de l’animation Nobutake Ito, avant d’apparaître tels qu’on les voit dans le film final.
A propos du scénario du film :
Cette histoire et le thème traité sont dus originellement à Shigemichi Sugita, un cinéaste japonais de films live. Pendant des années il a tenté de mettre en scène ce scénario avec de vrais acteurs, mais il a dû finalement renoncer à cause de la difficulté de faire financer et de réaliser un tel film.
Le scénario a alors atterri sur le bureau de Nishikubo Mizuho qui accepta de le réaliser en tant que film d’animation, avant-tout car il aimait les films de guerre. Il ajouta qu’il fût très surpris de découvrir cette page de l’histoire que peu de ses concitoyens connaissent ainsi que l’amitié improbable entre les enfants. Il a donc réalisé ce film avant tout pour sa propre culture.
L’accueil japonais du film :
Nishikubo Mizuho admet ne pas trop connaître le retour japonais du film. Il estime qu’il sera assez similaire à l’accueil français, car selon lui les Japonais ne connaissent pas non plus cette page de leur histoire.
Photo de gauche : L’équipe (de gauche à droite) : La traductrice, le réalisateur, le producteur et le Background designer. Désolé pour la pauvre qualité des photos. ToT
Notes :
*L’oblast de Sakhaline est une des « régions » de Russie. Elle est composée de l’île de Sakhaline et des îles Kouriles dont le Japon continue de réclamer la suprématie des 4 plus proches du pays.