L’animation Japonaise connaît des cycles et parfois une oeuvre surgit des ténèbres. Différente, représentante de son ère, elle transgresse les codes d’un genre établi et devient un phénomène de société.
Gundam en 1979 avait réinventé le genre du Super Robot en le rendant plus réaliste avec sa vision crue et nuancée de la guerre qui tranchait avec les séries d’auparavant telles Mazinger ou Goldorak où les robots étaient dotés de pouvoir totalement irréalistes et de jeunes garçons gagnaient face à des ennemis totalement mauvais.
Le doute, le désespoir, l’ambiguïté des intentions des deux camps n’existaient pas. Mais ces séries manichéennes et idéalistes cédaient leur place à un genre plus mature. Les crises, les doutes et les souffrances de l’adolescence cédaient la place à un optimisme enfantin. De nombreuses années plus tard, ce furent à nouveau les séries de Super Robot qui virent une révolution avec une série aux accents postmodernistes, à la symbolique religieuse et dont les problèmes psychologiques des héros allait bientôt devenir cultes : Evangelion.
Créée juste après le massacre de la secte Aum et le tremblement de terre de Kobe, elle représenta les doutes et les interrogations d’une époque. Les otakus, jeunes repliés sur eux-mêmes, étaient confrontés à leur alter-ego avec Shinji, héros adolescent peu sûr de lui, redoutant les interactions sociales et leur lot de souffrances.
Ces deux oeuvres furent représentatives de leur décennie: les années 80, période où Gundam connut véritablement son essor ; et les années 90, où Evangelion devint une oeuvre majeure.
Au début de ce siècle, aucune série n’arriva à s’imposer avec autant d’assurance. Des séries légères se succédèrent mais aucune ne parvint avec autant de maîtrise à pervertir un genre, en détourner les codes et révéler les ténèbres cachées sous la surface.
A la suite de ce postulat, une question se pose : l’univers des Magical Girl était-t-il aussi rose que l’on pouvait le penser ou, au contraire, la noirceur inhérente au genre du conte populaire pouvait-elle aussi pleinement se révéler ?
Jusque là, seule la série Utena avait tenté de pervertir les codes du shôjo (avec le réalisateur de Sailor Moon aux commandes) en introduisant ambiguïté sexuelle, rapports incestueux et réalisation psychédélique.
Après le succès (principalement au Japon) de Card Captor Sakura ou Pretty Cure, une oeuvre allait laisser planer son influence trouble sur la production japonaise. Comme Evangelion auparavant, elle sortit juste après le déchaînement de catastrophes naturelles sur l’archipel.
Un scénariste hors-norme
Gen Urobochi est surtout connu pour ses romans nihilistes qui finissent souvent de manière tragique. Saya no Uta est une visual novel contant la romance malsaine entre une aberration digne de l’oeuvre de Lovecraft et un jeune homme aux sens perturbés qui perçoit la beauté comme purulente et morbide. Une oeuvre malsaine dotée de plusieurs conclusions choquantes et surprenantes.
Plus récemment, il a écrit Fate/Zero, préquelle à la célèbre série qui semble pousser le pessimisme de l’auteur à son paroxysme et sera adaptée cet hiver sous forme d’anime. Le succès de ce roman a poussé le réalisateur phare à commander une réinterprétation de la Magical Girl à sa façon.
Déconstruction
Ainsi le début classique de l’oeuvre montre la rencontre de notre héroïne Madoka avec une nouvelle camarade de classe qu’elle a mystérieusement vue dans un rêve apocalyptique. Dans celui-ci, elle défendait l’humanité contre une menace inconnue.
La première interaction avec cette jeune fille froide et mystérieuse jette le trouble dans son esprit : « Si tu tiens à ta famille et tes amis, ne cherche pas à changer. Tu perdrais tout. » Plus tard, elle la voit poursuivre un animal étrange (mascotte typique de tout anime du genre) en menaçant de la tuer.
Évidemment, Madoka protège la pauvre créature lorsque son amie et elle se retrouvent projetées dans un univers parallèle et effrayant où d’étranges créatures les attaquent. Mais heureusement, une autre Magical Girl arrive et les défend en leur faisant découvrir l’envers du décor. L’humanité est menacée par des sorcières, incarnations du désespoir, qui poussent les plus faibles au suicide et seules les Puella Magi peuvent les défendre.
Kyuubei, l’étrange mascotte, leur propose ainsi de devenir protectrices des innocents en devenant des Puella Magi, réalisant ainsi l’un de leur voeux. Mais cette proposition alléchante ne cache-t-elle pas des implications plus graves ? Et Kyuubei se révèle particulièrement insistant auprès de Madoka afin qu’elle accepte le contrat. Ne serait-il pas plus proche de Méphistophélès proposant un pacte à Faust que de la simple mascotte bienveillante ?
Nos héroïnes vont ainsi découvrir un monde où la tragédie et la mort rôdent, où les défaut de l’humain le rende faillible et tenté par des miracles bien trop faciles. Et quelle est l’origine des sorcières ?
Tandis que la Walpurgisnacht, nuit de chaos, se rapproche, les doutes et les questionnements taraudent nos jeunes héroïnes. Sur qui peuvent-elles vraiment compter, les intentions des Puella Magi et de Kyuubei sont-elles pures et conformes aux préceptes de la justice ou tout cela ne servirait-il que dans des desseins égoïstes ?
Série souvent cruelle, Puella Magi n’épargne ni ses spectateurs ni ses personnages. Le rythme haletant distille révélation choquante sur révélation choquante. La réalisation esthétique et surréaliste nous plonge parfois en plein cauchemar éveillé. Loin de la série distrayante pour petites filles, Puella Magi est tout sauf une perle pure et scintillante où se reflète les souhaits innocents des enfants.
Noire comme l’onyx, elle plonge dans les tourments les plus sombres de nos coeurs et nous laisse une marque indélébile dans notre mémoire. Son parfum vénéneux et entêtant continuera certainement pendant longtemps à corrompre l’animation japonaise tels ses illustres prédécesseurs.
Série en 12 épisodes (terminée au Japon)